Cet Hiver à New York (French Edition) by Chloe Dugas

Auteur:Chloe Dugas [Dugas, Chloe]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2016-02-10T23:00:00+00:00

18. CLARA

Comme d’habitude, Paul s’en est tiré comme un chef : la réponse à tout, un discours fluide, coulant avec tant de naturel que l’on se demande comment l’on a été assez mesquin pour douter. Tous les ingrédients réunis pour que la pirouette fonctionne, sauf qu’un paramètre capital a changé : je n’ai plus envie d’y croire. D’avaler toutes ces histoires, ces déclarations enflammées et les plaidoiries amoureuses destinées à me dire ce que j’ai envie d’entendre au lieu de ce que je devrais savoir. Dieu sait ce que Paul peut bien fabriquer avec un habit de plombier – je ne veux même pas le savoir - mais une chose est sûre : ce n’est certainement pas pour aller faire œuvre de charité dans une banlieue défavorisée. Rien que prendre le métro l’écœure. L’idée d’approcher des gens de classe moyenne qui pourraient tousser près de lui, ou pire, lui parler, le répugne profondément. Ça, pour donner de l’argent (déductible des impôts) à une fondation de bienfaisance, c’est le premier. Cela fait bien dans les dîners et on se sent moins con. Par contre, quand il s’agit d’agir en personne, d’aider un sans domicile fixe ivre mort à traverser de nuit un grand boulevard parisien pour lui éviter de se faire écraser, ou de passer cinq minutes à bavarder avec une femme qui tente de vendre un peu de muguet pour survivre, il n’y a plus personne. Il ne faudrait pas exagérer non plus, n’est-ce pas ? De l’argent, oui, du temps en plus ?

En fait, Paul n’est pas quelqu’un de bien. Il n’est pas une bonne personne. Cela me frappe maintenant, comme une évidence. Paul un animal charismatique, énergivore, qui dérobe tout ce que les autres ont de bon pour se repaître et réparer tout ce qu’il a de mauvais. C’est un puits sans fonds, sans fin, car il en faudra toujours plus pour calmer son âme damnée. Quels tourments peuvent donc le ronger à ce point ? J’ai l’impression de voir apparaître devant moi le spectre de M. Hyde, les traits d’un portrait que j’ai mis des années à dépoussiérer et qui se tient là, sans apparats, droit devant moi.

Je suis allée voir le collègue de Duncan-Hall. Il doit se sentir coupable de m’avoir fermé sa porte, si j’en crois la ristourne sur honoraires que son collègue m’a octroyée. Il s’appelle Asher Woods. Je lui ai tout donné sur Paul : informations d’état civil, CV, comptes bancaires, immatriculation de sa voiture, agenda avec tous les voyages entrepris au cours des deux dernières années avec les hôtels que je connaissais, coordonnées du club de sport qu’il est censé fréquenter le mardi soir, l’adresse de Labo Syntec et des restaurants où il me dit déjeuner, le nom de sa secrétaire, l’accès à notre appartement et au système de sauvegarde de nos données : tout. Maintenant, je veux savoir.

Cette grossesse m’a donné le courage de regarder les choses en face. Si Paul me trompe, s’il n’est pas celui qu’il prétend être, il me faudra d’urgence rentrer à Paris pour assurer mes arrières.

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